Il n’est pas rare d’entendre dire qu’il est inacceptable que des prisonniers aient droit à des activités culturelles ou de formation professionnelle. Pour reprendre les propos de Corinne Rostaing, » le corps social ne supporterait pas que les détenus vivent mieux que la catégorie sociale la plus défavorisée de la société » (in Une institution dégradante, la prison). La logique qui a longtemps prévalue fut en effet celle de la « moindre éligibilité« : pour que la peine de prison soit dissuasive, il faut que les conditions de vie en prison soient inférieures aux conditions de vie de la classe la plus basse. Si ce raisonnement apparaît de prime abord assez logique, il est cependant discutable.
D’abord parce qu’ à moins d’une condamnation à mort ou d’une réclusion à perpétuité, l’individu exclu sera à terme amené à réintégrer la société. Comment peut-on raisonnablement penser que ce retour, cette réinsertion, soit efficace si en amont les conditions de vie en détention ont été les plus horribles possibles et sans véritable projet de réinsertion?
Ensuite parce que se référer aux plus mauvaises conditions de vie en société implique de prendre comme étalon de référence le mode de vie des plus pauvres. Comment définit-on la situation des plus pauvres? Tant qu’il y aura de gens vivant dans d’atroces conditions on se sentira toujours légitimes à niveler les conditions de vie en prison vers le bas.
C’est aussi plus rapide et facile que de se pencher sur ses propres ratés: en se contentant d’appliquer aux prisonniers les mêmes conditions que les plus pauvres, l’Etat n’investit pas autant de temps et d’énergie (et d’argent) à relever ces mêmes conditions de vie. Ne serait-il pas plus pertinent (et même obligatoire) de travailler à assurer à tout un chacun des conditions de vie conformes à la dignité humaine dès lors que la lutte contre la pauvreté relève des responsabilités d’un Etat?
A l’opposé du principe de moinde éligibilité se trouve le principe de normalisation : consacré tant au niveau européen que national au sein des règles minima pour le traitement des détenus des Nations Unies (début 1950) et au sein des règles pénitentiaires européennes du Conseil de l’Europe (1970), ce principe prône que la vie en détention doit se rapprocher le plus possible des conditions de vie générales hors les murs. Le pari ici fait est qu’une rupture partielle et non totale avec les conditions de vie générales favoriserait la réintégration et par conséquent lutterait contre la récidive. Un pari qui repose (en Belgique) également sur l’application de la loi de principes du 12 juillet 2005 fixant le statut des détenus et l’ensemble de leurs droits, dont tous les articles n’ont toujours pas sorti leurs effets faute d’ambition politique.
Une autre idée reçue coriace veut que les prisons soient des hôtels 5 étoiles. Cela sous-entend que la vie y est confortable matériellement. « Ils ont droit à une télévision, quel luxe, c’est scandaleux! ». Que peut-on trouver de luxueux à se retrouver enfermé, parfois avec une autre personne, plusieurs heures par jour dans un espace d’à peu près 9m² au sein d’un bâtiment vétuste ? Certes les rénovations ou extensions neuves de parc pénitentiaire entendent lutter contre la vétusté et offrir des conditions de détention décentes mais ne permettent aucune intimité ni luxe particulier.
A ce sujet plusieurs journalistes et magistrats ont pu faire l’expérience, courte, d’un séjour dans la nouvelle prison de Haren, en Belgique: » À chaque instant, un agent peut soulever le guichet et entrer dans la cellule, sans préavis. Qu’on soit sous la douche, en train de s’habiller ou en pyjama sur son lit. On ne peut pas dire : » une minute s’il vous plaît » ou » attendez un moment « . Même seul en cellule, l’intimité, en prison, ça n’existe pas. « Pas de pancarte « ne pas déranger svp » à apposer aux portes des cellules.
La notion de confort matériel apparaît également toute relative. A l’heure des appareils et accessoires électoniques tout plus « smart » (plus chers, plus débilisants?) les uns que les autres, est-ce que détenir une télévision (louée aux frais du détenu ou de ses proches) dans sa cellule relève vraiment du luxe? C’est oublier ou ignorer que ce genre de confort se paie, la télévision n’étant pas gratuite en prison. Car en effet si un détenu est nourri, logé, blanchi, il ne s’agit là que de services fournissant le strict nécéssaire. Le surplus s’aquiert à la cantine à ses frais. Historiquement la cantine fournissait principalement du tabac, qui à son tour servait de monnaie d’échange entre détenus. Désormais il s’agit d’une véritable boutique qui propose nourriture, vêtements, produits d’hygiène, etc. à des prix plus élevés qu’à l’extérieur. On est encore ici bien loin du confort des plus grands palaces.
Enfin l’analogie avec l’hôtellerie 5 étoiles implique que « le client est roi » et que ses désirs sont des ordres. Or en prison on ne peut pas aller et venir à sa guise et l’organisation du temps est strictement cadrée: on leur dit quand aller se doucher, quand aller manger, quand aller en atelier, etc. De plus si on se penche sur la population en prison on retrouve majoritairement des hommes issus de milieux défavorisés, de l’immigration, peu scolarisés…on ne peut pas parler de clientèle huppée. C’est d’autant plus ironique quand on sait que la criminalité d’élite/la criminalité en col blanc n’atterrit pas en prison…